Crédits carbone : évitement ou séquestration, et si ce n'était pas la bonne question ?
Alors que le marché des crédits carbone volontaires montre une préférence croissante pour la séquestration, faut-il pour autant délaisser les crédits d'évitement ? En réalité ces deux approches sont non seulement complémentaires, mais aussi essentielles pour construire une stratégie de contribution climatique robuste et efficace. Décryptage des enjeux et recommandations pour les entreprises qui souhaitent maximiser leur impact.
Par Constance Groisne, Responsable Décarbonation chez Inuk
Inuk est une entreprise française, spécialiste de la contribution carbone. Inuk a développé en 2018 la première technologie de traçabilité appliquée au crédits carbone. Nous proposons aux entreprises des crédits carbone made in Europe parmi les plus fiables du marché. Nos équipes accompagnent aussi au quotidien des entreprises de toute taille dans leur transition bas-carbone.
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Résumé en 3 minutes
  • La neutralité carbone ne sera pas atteinte sans une augmentation des financements pour le climat. Pour une entreprise, réduire ses propres émissions est indispensable, mais pas suffisant. Elles doivent contribuer à la décarbonation mondiale au-delà de leur propre chaine de valeur, et les crédits carbone volontaires sont une manière d’y parvenir.
  • Il existe deux types de crédits : les crédits d’évitement financent des projets qui réduisent les émissions (énergies décarbonées, matériaux bas carbone, protection des forêts…) et les crédits de séquestration financent le retrait de CO2 de l’atmosphère (reforestation, technologies de capture du CO2…)
  • Le marché valorise de plus en plus les crédits de séquestration (prix 3.5 fois supérieur aux crédits d’évitement en 2023). Cette tendance traduit une perception de meilleure qualité, alors que les analyses montrent que la qualité d'un crédit dépend du projet, pas de son type (évitement ou séquestration).
  • Miser uniquement sur la séquestration ne fonctionnera pas : le GIEC évalue à environ 20% la part des émissions mondiales actuelles qui pourront être séquestrées sur le long terme dans les scénarios qui limitent le réchauffement à +1.5°C. Cela s’explique par des contraintes physiques et économiques fortes.
  • Les cadres et référentiels reconnus (SBTi, Net Zero Initiative, Oxford Principles) convergent : une entreprise doit en priorité réduire ses émissions, financer des projets d’évitement dès aujourd’hui pour accélérer la réduction des émissions mondiales, et investir progressivement dans la séquestration en vue de la neutralisation à long terme. Une stratégie de contribution carbone robuste mêle donc les crédits d’évitement et de séquestration.
Introduction
Sur le marché des crédits carbone volontaires, une tendance se dessine : les entreprises délaissent progressivement les crédits d'évitement au profit des crédits de séquestration. Cette évolution est-elle justifiée et cohérente avec l'urgence climatique ?
L'année 2024 nous rappelle l'ampleur du défi : pour la première fois, le réchauffement moyen a dépassé +1.5°C au niveau mondial par rapport aux niveaux préindustriels (1). Ce dépassement temporaire ne signifie pas encore que nous avons franchi la limite fixée par l'Accord de Paris, mais sonne comme un avertissement sur l'urgence d'accélérer l'action climatique.
Dans ce contexte, les entreprises font face à des choix stratégiques cruciaux : que faut-il financer, à quel moment, et pourquoi ? Si la priorité reste avant tout la réduction des émissions directes et indirectes, la contribution carbone volontaire apparaît comme un levier complémentaire permettant d'accélérer la transition vers une économie bas carbone.
Concrètement, la contribution carbone volontaire consiste à financer des projets générant des bénéfices climatiques mesurables, qui se matérialisent sous forme de "crédits carbone". Un crédit carbone correspond à une tonne de CO2 évitée ou séquestrée grâce au projet financé. Ces crédits permettent aux entreprises d'agir au-delà de leur chaîne de valeur, en soutenant des initiatives qui n'auraient pas pu voir le jour sans ce financement additionnel.
Deux grandes catégories de crédits carbone coexistent sur le marché : les crédits d'évitement et les crédits de séquestration. Bien que ces deux approches contribuent à la lutte contre le changement climatique, elles présentent des caractéristiques et des enjeux distincts qu'il est essentiel de comprendre pour construire une stratégie de contribution pertinente. Il y a beaucoup à dire sur le marché volontaire du carbone en lui-même, nous en avons d’ailleurs fait un sujet à part entière dans cet article.
Beaucoup d’entreprises se questionnent sur l’intérêt d’acheter l’un ou l’autre type de crédits, et nous constatons de plus en plus de réticences envers les crédits d’évitement. Cet article vise à démontrer que loin d’être opposés, les crédits carbone d’évitement et de séquestration sont complémentaires et essentiels pour une stratégie climat complète.
1. Evitement vs Séquestration : de quoi parle-t-on vraiment ?
Les crédits carbone volontaires sont des instruments financiers qui permettent de soutenir des projets bénéfiques pour le climat. Pour une entreprise, l'achat de ces crédits représente une solution pour adresser les émissions les plus difficiles à réduire, que ce soit pour des raisons technologiques (technologies encore émergentes et coûteuses) ou techniques (émissions incompressibles avec les moyens actuels). Ces crédits se divisent en deux catégories principales, qui se distinguent par leur approche du problème climatique.
Les crédits carbone d'évitement visent à empêcher ou réduire les émissions de gaz à effet de serre qui auraient eu lieu dans un scénario de référence. Ils se déclinent en trois catégories :
  1. Les projets de transition énergétique : ils visent à remplacer des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) par des énergies décarbonées (solaire ou éolienne par exemple), ou à consommer moins d’énergie (isolation des bâtiments, amélioration de l’efficacité énergétique…).
  1. Les projets de protection de la nature : ils empêchent la destruction ou la dégradation d’écosystèmes qui stockent naturellement du carbone, comme les forêts. Le plus connu est le programme REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation forestière), qui aide à protéger les forêts menacées de déforestation.
  1. Les projets de capture de CO2 industriel : ils permettent de capturer le CO2 directement à la sortie des usines ou des centrales électriques, avant qu’il ne parte dans l’atmosphère.
Les crédits carbone de séquestration, quant à eux, financent des projets qui retirent du CO2 déjà présent dans l’atmosphère. Ils se répartissent en deux catégories :
  1. Les solutions naturelles : on augmente les capacités de la nature à absorber du carbone, par exemple en plantant des arbres, en restaurant des zones humides, ou en aidant les agriculteurs à stocker plus de carbone dans leurs sols.
  1. Les solutions technologiques : on utilise des technologies comme la capture directe du CO2 dans l'air (Direct Air Capture - DAC), puis le stockage sous terre de ce CO2.
Les différents types de crédits carbone
2. Les chiffres du marché : ce que les tendances disent (et ne disent pas)
Le marché des crédits carbone volontaires connaît actuellement une transformation significative. Entre 2021 et 2024, on observe un net recul des crédits liés aux énergies renouvelables et aux projets REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation forestière), qui sont les projets d’évitement les plus répandus. Alors qu'ils représentaient plus de 55% des crédits achetés entre 2021 et 2023, leur part est tombée à 40% en 2024, au profit d'autres types de projets, notamment de séquestration. (2)
Cette évolution se reflète également dans les prix. En 2023, les crédits de séquestration se sont négociés en moyenne 3,5 fois plus cher que les crédits d'évitement, un écart qui s'est creusé par rapport à 2022 où le facteur n'était que de 2,5 (3).
Cette prime accordée aux crédits de séquestration pourrait-elle être justifiée par une meilleure qualité ? Une récente analyse de Calyx Global et ClearBlue Markets a démontré que ce n’était pas nécessairement le cas : il est possible d’acheter des crédits de séquestration à 40$ la tonne avec une très mauvaise qualité, et des crédits d’évitement d’excellente qualité pour 5$ la tonne (2). Le prix plus élevé des crédits de séquestration serait donc simplement le reflet d’une préférence croissante des acheteurs pour ce type de crédits, notamment suite aux controverses récentes sur la qualité de certains crédits d'évitement, en particulier les projets REDD+. (4)
Analyse de la qualité et du prix de différents crédits carbone - Calyx Global et Clearblue Markets [2]
Pourtant, délaisser les crédits d'évitement au profit de la seule séquestration serait une erreur stratégique, car la séquestration ne suffira pas à résoudre la crise climatique : c’est ce que nous allons creuser dans la 3ème partie.
3. La séquestration seule ne suffira pas
Pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°C et éviter ses conséquences, nous devons atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Cette neutralité carbone, ou "net zéro", signifie un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et leur absorption (ou “séquestration”). En effet, tant que nos émissions dépassent nos absorptions, le CO2 continue de s'accumuler dans l'atmosphère, amplifiant l'effet de serre et donc le réchauffement climatique.
Les chiffres permettent de comprendre pourquoi la séquestration seule ne peut pas résoudre la crise climatique. Entre 2010 et 2019, les émissions mondiales s'élevaient en moyenne à 56 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GtCO2e) par an (5). Or, les scénarios du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat, qui fait la synthèse des connaissances scientifiques sur le changement climatique) compatibles avec un réchauffement limité à +1,5°C ne prévoient que 11 milliards de tonnes d’émissions séquestrées par an en moyenne (6).
Cette limite de 11 milliards de tonnes n'est pas arbitraire : elle reflète les contraintes réelles de la séquestration. Si l’on s’intéresse à la séquestration de CO2 dans le secteur des terres (via les forêts ou les sols agricoles par exemple), il faut distinguer le potentiel technique de séquestration du potentiel économique. Le potentiel technique, c’est la limite maximale potentielle de séquestration qu’on pourrait atteindre en faisant l’hypothèse que l’objectif de l’augmentation de la séquestration prime sur tous les autres (alimentation, énergie…), sans aucune barrière financière ou humaine par exemple. Ce potentiel a été évalué à environ 22.2 GtCO2e/an par le GIEC (en plus de la séquestration actuelle). Le potentiel économique, c’est la partie du potentiel technique que l’on pourrait atteindre en fixant un prix maximum à la séquestration. Si l’on ne veut pas excéder 20$ par tonne de CO2 séquestrée, le potentiel économique de séquestration additionnel est alors de 3.1 GtCO2e/an. Si on augmente le plafond à 100$ par tonne de CO2 séquestrée, on passe à un potentiel de 8.3 GtCO2e/an. A titre de comparaison, sur le marché volontaire du carbone, le prix moyen observé des crédits carbone étaient de 6.53$ par tonne de CO2 évitée ou séquestrée (3).
Potentiel de séquestration global selon différentes contraintes techniques et économiques - Carbone 4
Du côté des solutions technologiques, on entend de plus en plus parler des DACCS (Direct Air Capture Carbon and Storage), qui agissent tels des aspirateurs à CO2 directement dans l’atmosphère et le stockent ensuite dans le sol. Bien que cette solution soit attirante, son développement est principalement limité par sa consommation énergétique. On estime que la consommation d’énergie pourrait être au minimum de 0.5 GJ par tonne de CO2 absorbée (les technologies actuelles étant plutôt entre 4 et 10 GJ par tonne de CO2 absorbée, dont 80% de chaleur et 20% d’électricité). Ainsi pour absorber 10 milliards de tonnes de CO2 par an avec cette méthode, il faudrait consommer 6 à 14% de la production énergétique annuelle mondiale ! Cela requiert un accès à une énergie décarbonée très importante (pour limiter les émissions de gaz à effet de serre émises par la technologie) et coûte très cher. Ainsi, le GIEC estime que le potentiel de séquestration des DACCS pour un coût inférieur à 200 USD par tonne de CO2 séquestrée est “très faible” d’ici 2030. (7)
La situation actuelle illustre ces limites : nous ne retirons aujourd'hui que 2 milliards de tonnes de CO2 par an, principalement grâce à la plantation d'arbres, et les nouvelles technologies de capture du CO2 ne représentent que 0,1% de ce total. (8)
En résumé : la séquestration d'émissions est nécessaire pour atteindre le net zéro mais pas suffisante pour absorber l'intégralité de nos émissions actuelles. Ces limites physiques et économiques de la séquestration démontrent qu'une stratégie climat crédible doit impérativement combiner deux approches : des efforts massifs de réduction des émissions, notamment via le financement de projets d'évitement, et le développement progressif de la séquestration.
4. Financer l’évitement, c’est maintenant
La temporalité est un facteur clé dans l'action climatique : de nombreuses solutions de réduction d'émissions sont déjà disponibles aujourd'hui, alors que les solutions de séquestration nécessitent des décennies pour se déployer à grande échelle. Cette réalité a des implications concrètes : une tonne de CO2 non émise aujourd'hui aura un impact plus positif qu'une tonne émise puis séquestrée plus tard, car elle n'aura pas contribué au réchauffement climatique entre-temps.
Face aux limites de la séquestration, la réduction massive et rapide de nos émissions apparaît comme une nécessité absolue. Pourtant, les moyens financiers actuellement mobilisés sont très loin du compte. Le constat est alarmant : il faudrait investir plus de 8400 milliards de dollars par an d'ici 2030 pour réduire nos émissions, alors qu'aujourd'hui, seuls 1200 milliards sont mobilisés. (9)
Pour augmenter le financement de l’atténuation et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre à temps, les entreprises peuvent agir au-delà de leur propre périmètre. Les crédits carbone d'évitement représentent une solution concrète : ils permettent de financer des projets qui réduisent les émissions là où c'est le plus efficace et le moins coûteux. C’est notamment ce que recommande la Science Based Targets initiative (SBTi) dans son rapport “Aller encore plus loin : un rapport de la SBTi sur la conception et l’exécution des mesures d’atténuation des émissions au-delà de la chaîne de valeur”. (10)
5. Ce qui fait vraiment un crédit carbone de qualité
La qualité du crédit carbone est dépendante du projet, et pas de son type (évitement ou séquestration)
On l’a vu, l’atténuation et la séquestration sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone. Les crédits carbone d’évitement et de séquestration ont donc tous les deux ont un rôle à jouer : les premiers pour accélérer la réduction des émissions à court terme, les seconds pour atteindre la neutralité carbone à long terme. Pourtant, les acheteurs montrent une préférence grandissante pour les crédits de séquestration, souvent perçus comme plus tangibles et de meilleure qualité.
Une analyse approfondie publiée en 2024 par Calyx Global, l'une des principales agences de notation indépendantes du marché carbone volontaire, apporte un éclairage décisif sur cette question. A partir de l’évaluation de plus de 600 projets, l’agence a conclu que la qualité n'était pas intrinsèquement liée au type de crédit. Les projets de séquestration comme d'évitement présentent une large distribution en termes de qualité, sans qu'un type ne se démarque systématiquement (11). En réalité, les crédits d’évitement et de séquestration peuvent être sujets aux mêmes problèmes de qualité, dont les principaux sont détaillés ci-dessous (pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire notre article dédié à ce sujet.
Notation de la qualité de crédits carbone d'évitement et de séquestration - Calyx Global [11]
La non-additionnalité
L’additionnalité, qui requiert que le projet associé au crédit carbone ne puisse pas voir le jour sans ce financement, n’est pas toujours garantie. Par exemple, certains projets d’afforestation ou de reforestation (qui sont deux types de projets de séquestration) peuvent être rentables sans l’apport du financement des crédits carbone, grâce à la génération de co-produits industriels. Pour autant, on trouve des crédits carbone issus de ces projets sur le marché volontaire.
D’après une analyse menée par Renoster, une agence de notation indépendante spécialisée dans la notation de projets basés sur la nature, les projets de séquestration sous-performeraient en moyenne par rapport à certains projets de réduction en raison de problèmes d’additionnalité : de nombreux projets de séquestration verraient le jour même sans l’apport financier des crédits carbone. En guise d’exemple, Renoster cite le cas d’une multinationale de timbres qui a reçu des crédits carbone pour des plantations d'eucalyptus, alors que ces plantations auraient probablement été réalisées de toute façon pour leur activité (12).
Cet exemple montre que l’additionnalité des projets de contribution peut être un vrai casse-tête : on vous en dit plus dans cet article dédié.
La non-permanence
La permanence, qui assure que l’impact du crédit carbone soit durable dans le temps, peut également être questionnée pour certains projets. Les projets basés sur la nature, qu’ils visent l’évitement (protection de forêts existantes) ou la séquestration (nouvelles plantations), font face à un risque significatif de non-permanence : le carbone stocké dans les arbres et les sols peut être relâché dans l'atmosphère suite à des perturbations naturelles comme les incendies, les tempêtes ou les maladies, annulant ainsi le bénéfice climatique initial. C’est par exemple ce qui s’est passé en 2021 aux Etats-Unis, où l’incendie “Bootleg Fire” dans l’Oregon a détruit 20% d’un projet de compensation forestier (13).
Certains projets d’évitement garantissent en revanche la permanence : par exemple, quand un biodigesteur permet d'éviter des émissions de méthane issues de déchets agricoles, ou quand une installation d'énergie renouvelable remplace une centrale à charbon, les émissions évitées le sont définitivement : le méthane non émis ou le charbon non brûlé ne peuvent pas "réapparaître" ultérieurement dans l'atmosphère.
Le manque de réalisme du scénario de référence
Que ce soit pour les projets d'évitement ou de séquestration, la crédibilité des crédits carbone repose sur leur capacité à démontrer un réel bénéfice climatique. Cette démonstration s'appuie sur un scénario de référence : que se serait-il passé en l'absence du projet ? Par définition, ce scénario est impossible à vérifier avec une certitude absolue puisqu'il s'agit d'une situation hypothétique.
C’est le manque de réalisme du scénario de référence qui a été la cause de la controverse révélée par The Guardian en 2023 concernant des projets REDD+ certifiés par Verra : ces projets génèrent des crédits carbone car ils sont supposés protéger des forêts menacées par la déforestation. L’enquête a cependant dénoncé une surestimation systématique du risque de déforestation dans les scénarios de référence. En d'autres termes, ces projets affirmaient protéger des forêts qui n'étaient en réalité pas menacées, ou beaucoup moins que ce qui était déclaré. (4)
Chez Inuk, tous nos projets d’évitement sont associés à des scénarios de référence basés sur des données réelles : par exemple, notre projet éolien en Pologne a permis la fermeture d’une centrale à Charbon. Dans ce projet, le scénario de référence est donc la production d’électricité à partir de charbon.
Les externalités positives et négatives
La qualité d'un crédit carbone ne se résume pas à son impact climatique. Les projets peuvent avoir des effets positifs ou négatifs sur d'autres aspects environnementaux ou sociaux : biodiversité, ressources en eau, communautés locales... C'est pourquoi de nombreux projets mettent en avant leur contribution aux Objectifs de Développement Durable (ODD).
Cependant, l’analyse publiée par Calybx Global et Clearblue Markets déjà citée plus haut révèle une corrélation négative entre l'intégrité carbone des projets, c’est à-dire leur bénéfice réel pour le climat (additionnalité, mesurabilité, permanence…) et leur impact sur les ODD. Dit plus clairement, cela signifie que sur le marché actuel, les acheteurs doivent souvent arbitrer entre l'efficacité climatique d’un crédit carbone et ses co-bénéfices. (2)
Analyse de l'efficacité climatique et de la contribution aux ODD de différents projets de contribution carbone - Calyx Global et Clearblue Markets [2]
Chez Inuk, nous pensons que nos clients ne devraient pas avoir à choisir entre impact climatique et autres ODD. C'est pourquoi nous sélectionnons rigoureusement nos projets d'évitement en évaluant à la fois leur intégrité carbone et leurs co-bénéfices environnementaux et sociaux. Pour approfondir ce sujet, nous vous invitons à lire notre article sur l’impact des énergies renouvelables sur la biodiversité.
6. Les grands cadres recommandent aux entreprises… de combiner les deux
Nous avons vu deux points essentiels : d'une part, les crédits d'évitement et de séquestration sont tous deux nécessaires dans la lutte contre le changement climatique. D'autre part, la qualité d'un crédit carbone ne dépend pas de son type mais bien des caractéristiques spécifiques de chaque projet.
Face à ces constats, comment une entreprise peut-elle construire une stratégie de contribution carbone à la fois ambitieuse et rigoureuse ? Les cadres et référentiels reconnus s’accordent sur la meilleure option est l’approche combinée : financer prioritairement des projets d'évitement à court terme pour accélérer la réduction rapide des émissions mondiales, tout en investissant progressivement dans des projets de séquestration qui permettront d'absorber le CO2 excédentaire à long terme.
Regardons plus en détails ce qu’ils nous disent.​
Science Based Targets Initiative (SBTi) : réduire, financer au-delà de la chaîne de valeur, puis neutraliser
La Science Based Targets initiative (SBTi), partenariat entre le CDP, le Pacte mondial des Nations Unies, le World Resources Institute et le WWF, définit les standards internationaux pour les stratégies climatiques d'entreprise alignées avec l'Accord de Paris. Son standard "net zéro" repose sur trois piliers (14) :
  • Les entreprises doivent en priorité réduire drastiquement leurs émissions directes et indirectes (sur les 3 scopes), en ligne avec une trajectoire +1,5°C
  • À leur année cible de net zéro, elles doivent neutraliser l'impact climatique de leurs émissions résiduelles (définies scientifiquement comme celles qui restent après l'implémentation de toutes les mesures d'atténuation possibles) en les retirant et en les stockant de manière permanente dans l'atmosphère. Les crédits carbone de séquestration peuvent être un moyen de financer cette neutralisation.
  • En parallèle, elles sont fortement encouragées à contribuer à la transition au-delà de leur chaîne de valeur (Beyond Value Chain Mitigation - BVCM), notamment via des crédits carbone d'évitement. La SBTi insiste sur le fait que la BVCM intervient comme un complément à l'atténuation des émissions de sa propre chaîne de valeur, et non comme un substitut.
Net Zéro Initiative (NZI) : réduire ses propres émissions, réduire celles des autres, augmenter les puits de carbone
La Net Zero Initiative (NZI), référentiel développé par Carbone 4 pour structurer l'action climatique des organisations, propose un cadre qui distingue trois piliers complémentaires et indissociables :
  • Pilier A - Réduire ses émissions directes et indirectes : il s'agit de la réduction des émissions de l'organisation sur l'ensemble de sa chaîne de valeur (scopes 1, 2 et 3)
  • Pilier B - Réduire les émissions des autres : l'organisation contribue à éviter ou réduire les émissions en dehors de sa chaîne de valeur, notamment via le financement de projets d'évitement
  • Pilier C - Augmenter les puits de carbone : l'organisation participe au développement de la séquestration de CO2, que ce soit par des solutions naturelles ou technologiques
Dans ce cadre, les crédits d'évitement s'inscrivent dans le pilier B. La NZI précise que l'organisation ne doit pas revendiquer la possession du gain carbone provoqué (et donc l'utiliser à des fins de "compensation" ou "d'annulation"), mais peut revendiquer la paternité de son financement ("Cette année, nous avons évité l'émission de XX tCO2e grâce à notre financement de YY k€ en faveur de projets bas carbone”) (15). Les crédits de séquestration, quant à eux, relèvent du pilier C.
Les principes d’Oxford : basculer progressivement des crédits d’évitement vers les crédits de séquestration
Les "Oxford Principles for Net Zero Aligned Carbon Offsetting", publiés en 2020 par l'Université d'Oxford, offrent un cadre de référence pour aligner les stratégies de contribution carbone avec les objectifs de l'Accord de Paris.
Leur analyse est équilibrée : ils reconnaissent que seuls les crédits de séquestration permettent de revendiquer la neutralité carbone, mais soulignent le rôle crucial des projets d'évitement dans la prochaine décennie. Leur recommandation principale est d'opérer une transition progressive des crédits d'évitement vers les crédits de séquestration, pour atteindre 100% de séquestration en 2050 au plus tard. Cette approche permet de maximiser l'impact climatique à court terme via des projets d'évitement déjà matures et de contribuer au développement des solutions de séquestration.
Cette feuille de route offre ainsi un cadre clair et scientifiquement fondé pour guider les stratégies de contribution carbone des organisations (16).
Conclusion
La contribution carbone volontaire est un outil essentiel dans la lutte contre le changement climatique, complémentaire aux efforts de réduction des émissions d’une organisation. Les analyses présentées dans cet article démontrent que la qualité d'un crédit carbone ne dépend pas de son type - évitement ou séquestration - mais bien des caractéristiques spécifiques de chaque projet. Comme le préconisent la Net Zero Initiative et la SBTi, une stratégie de contribution efficace doit combiner ces deux approches : financer des projets d'évitement de haute qualité pour accélérer la décarbonation mondiale à court terme, tout en développant progressivement la séquestration nécessaire à l'atteinte du net zéro.
Dans ce contexte, Inuk propose une solution innovante de crédits carbone d'évitement en France et en Europe, combinant sélection rigoureuse des projets, traçabilité blockchain et accompagnement personnalisé des entreprises dans leur stratégie de contribution.
Contactez-nous pour en savoir plus sur nos projets et pour construire votre stratégie de contribution !

Sources
[2] Calyx Global et Clearblue Markets, The State of Quality and Pricing in the VCM, 2025
[3] Ecosystem Marketplace, State of the voluntary carbon market 2024, 2024
[4] The Guardian, Revealed : more than 90% of rainforest carbon offsets by biggest certifier are worthless, analysis shows, 2023
[5] IPCC, Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Working Group III Contribution to the IPCC Sixth Assessment Report
[6] Edelenbosch, O.Y., Hof, A.F., van den Berg, M. et al. Reducing sectoral hard-to-abate emissions to limit reliance on carbon dioxide removal. Nat. Clim. Chang. 14, 715–722 (2024).
[7] Babiker, M., G. Berndes, K. Blok, B. Cohen, A. Cowie, O. Geden, V. Ginzburg, A. Leip, P. Smith, M. Sugiyama, F. Yamba, 2022: Cross-sectoral perspectives. In IPCC, 2022: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change
[9] Climate Policy Initiative, Global Landscape of Climate Finance, 2023
[10] SBTi, Above and Beyond : an SBTi report on the design and implementation of beyond value chain mitigation (BVCM)
[14] SBTi, Corporate Net-Zero Standard Criteria
[15] Carbone 4, Net Zero Initiative : Le guide du Pilier B
[16] University of Oxford, Oxford Principles for Net Zero Aligned Carbon Offsetting (revised 2024), 2024